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Analyse de stabilité de  sillages expérimentaux

Analyse de stabilité de jets, cisailements et sillages



      


Résumé

Les écoulements de grande échelle sont définis par une taille caractéristique horizontale plus grande qu’une échelle propre aux écoulements stratifiés tournants qu’on appelle le rayon de déformation. Cette échelle caractéristique peut être définie pour chaque écoulement et dépend de sa structure verticale et de la rotation. Elle peut être interprétée comme l’échelle à partir de laquelle les effets de la rotation terrestre ne sont plus négligeables.

Les écoulements de grande échelle sont couramment observables dans l’atmosphère des planètes géantes ou l’océan terrestre. Citons par exemple la tâche rouge de Jupiter bien plus grande que le rayon de déformation qui lui est associé ou les gros tourbillons océaniques tels les tourbillons des aiguilles. Ces très grosses structures tourbillonnaires, plusieurs fois supérieures au rayon de déformation associé à leur structure, sont toutes anticycloniques.

Cette prédominance des anticyclones a été observée dans des modèles simples, comme le modèle de Saint-Venant, qui représente la dynamique d’une couche mince en rotation avec une surface libre, et dans différents contextes. Dans le cadre de la turbulence en déclin, par exemple, les anticyclones sont plus circulaires et cohérents que les cyclones. Les analyses de stabilité de tourbillons isolés ont montré également que les anticyclones étaient plus stables que les cyclones lorsque la taille caractéristique des tourbillons devenaient plus grande que le rayon de déformation.

Nous nous sommes intéressés à la dynamique du sillage car il présente aussi bien des structures tourbillonnaires que des couches de cisaillement de plus petite échelle. La problématique de mon travail de thèse a été de déterminer comment l’asymétrie cyclone-anticyclone, attendue dans des écoulements de grande échelle, affecterait la dynamique des sillages.

Dans un écoulement 2D sans rotation, la dynamique du sillage est contrôlée par un seul paramètre de contrôle : le nombre de Reynolds qui quantifie l’importance des effets visqueux. Pour des nombres de Reynolds au-delà d’une valeur critique, les couches limites qui se forment

 

sur l’obstacle se détachent et s’enroulent pour former une allée de von Karman, composée de tourbillons alternés qui tournent dans un sens et dans l’autre. Ces allées tourbillonnaires sont caractérisées par une fréquence d’émission des tourbillon qui leur est propre : le nombre de Strouhal. Celui-ci atteint rapidement une valeur quasi-constante de l’ordre de 0.2 (Fig. 1).

 

    

 Fig. 1 Allées de von Karman derrière un cylindre dans un écoulement 2D pour Re=140, visualisation avec de la fluoresceine. Evolution du nombre de Strouhal en fonction du nombre de Reynolds.

 

Pour caractériser la dynamique des sillages de grande échelle, nous avons utilisé trois approches complémentaires : numérique, expérimentale et théorique dans une gamme de paramètres variant entre les régimes 2D, quasi-géostrophique (écoulements géostrophiques dont la taille caractéristique est du même ordre de grandeur que le rayon de déformation) et frontal (écoulements géostrophiques de grande échelle).

 

Pour l’approche numérique, les équations de Saint-Venant ont été intégrées à l’aide d’un code pseudo-spectral avec une méthode de pénalisation pour prendre en compte l’obstacle. Cette méthode consiste à considérer tout le domaine, fluide et solide, comme un même milieu poreux de porosité variable. La méthode de pénalisation n’ayant jamais été utilisée dans un modèle à surface libre, les résultats numériques ont été confrontés avec des expériences de laboratoire.

Les expériences ont été réalisées dans une cuve tournante stratifiée à deux couches, une couche du fond épaisse et dense et une couche supérieure fine et moins dense. Un cylindre est translaté dans la couche du dessus uniquement et le rapport d’aspect entre l’épaisseur des deux couches est faible, on peut donc raisonnablement négliger la dynamique de la couche inférieure. De plus, le rapport d’aspect entre le diamètre du cylindre et l’épaisseur de la couche du dessus permet de faire l’approximation couche mince.

 

Les simulations numériques et les expériences de laboratoire ont permis de mettre en évidence les caractéristiques des sillages en régime frontal. Une première caractéristique est la très forte déformation des cyclones lorsque la déviation de la surface libre augmente. Dans des cas extrêmes l’allée tourbillonnaire est formée uniquement d’anticyclones. Une deuxième caractéristique est l’extension d’un sillage quasi-parallèle en aval du cylindre sur une distance de deux à trois diamètres. Les tourbillons se forment alors loin derrière l’obstacle. Une troisième caractéristique est la forte augmentation du nombre de Strouhal, jusqu’à des valeurs trois fois supérieures aux valeurs classiquement rencontrées en laboratoire. De plus, le nombre de Strouhal ne dépend plus du nombre de Reynolds, mais varie avec la déviation relative de la surface libre (Fig. 2). Une dernière caractéristique est l’asymétrie de l’écoulement autour de l’obstacle et donc du sillage quasi-parallèle en aval du cylindre.

Cette structure étonnante de sillage est totalement différente de celle des allées classiques de von Karman, elle ressemble davantage à une instabilité de type couche de mélange qu’à une instabilité de sillage.

    

Fig. 2. Champ de vorticité d’une simulation numérique d’un sillage en régime frontal (cyclones en rouge, anticyclone en bleu). Evolution du nombre de Strouhal (résultats numériques et expérimentaux) en fonction de la déviation relative de la surface libre l.

 

Pour déterminer les mécanismes responsables de l’asymétrie cyclone-anticyclone dans l’allée tourbillonnaire et la nature de l’instabilité, nous avons réalisé une étude de stabilité locale de sillages parallèles. Le régime frontal (correspondant à des grandes déviations du géopotentiel) sélectionne le développement de l’instabilité dans la partie anticyclonique de l’écoulement, déjà dans sa phase linéaire. L’évolution non-linéaire donne alors lieu à une très forte asymétrie entre les tourbillons, les cyclones sont très déformés alors que les anticyclones restent circulaires. Avec l’évolution locale d’un sillage parallèle, on retrouve la structure de sillage observée dans l’expérience et le même ordre de grandeur du nombre de Strouhal, indiquant un changement de nature de l’instabilité. Ce changement de nature a été confirmé par une étude spatio-temporelle de l’évolution d’une perturbation localisée. Le profil de sillage, en régime frontal, est instable convectif, c’est-à-dire qu’une perturbation localisée croît exponentiellement mais en étant advectée par l’écoulement en aval du cylindre. La nature de l’instabilité a donc changé par rapport aux allées de von Karman classiques qui correspondent à un mode global d’un sillage instable absolu.

 

Nous avons montré que l’instabilité de sillage en régime frontal favorise la production d’anticyclones. Pour déterminer si l’instabilité de cisaillement horizontal est un mécanisme générique de production d’anticyclones, nous avons étendu l’étude de stabilité précédente à d’autres types d’écoulements : jets, cisaillements localisés et sillages. Nous avons montré que le régime frontal stabilise très fortement les jets, mais aucune asymétrie cyclone-anticyclone n’apparaît dans la phase linéaire. Par contre on observe très nettement une différence de comportement entre les cisaillements cycloniques et anticycloniques. Seul le cisaillement cyclonique est très fortement stabilisé en régime frontal. Ceci a pour conséquence une production de cyclones beaucoup plus lente que celle des anticyclones. Cependant, les deux cisaillements produisent des tourbillons circulaires. Par contre, lorsque les deux cisaillements sont couplés, dans le cas du sillage, la production des anticyclones en premiers influence la couche de cisaillement cyclonique. Les cyclones sont alors très fortement déformés. Nous avons donc mis en évidence un mécanisme générique de formation préférentielle des anticyclones par déstabilisation de cisaillements horizontaux.

Ceci peut être un des mécanismes responsables de la prédominance des anticyclones dans les écoulements et structure océaniques de grande échelle. De plus, la prédominance et la robustesse des anticyclones peuvent avoir un impact important sur le mélange et le transport de traceurs passifs tels que le phytoplancton ou des polluants émis le long des côtes.