[ Rapports d'activité / 1995-97 / 1997-99 / 2000-02 / 2002-04 / 2004-06 ]

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Rapport d'activité à deux ans / Juin 1997-Juin 1999

Marie Farge
DR2, SPI, section 10
LMD-CNRS,ENS, Paris


Résumé du programme de recherche


Il y a plus de 10 ans j'ai proposé d'utiliser la représentation en base d'ondelettes pour analyser, comprimer, modéliser et calculer les écoulements turbulents. Jai publié en 1988 le premier article utilisant la représentation en ondelettes pour étudier la turbulence, et j'ai à ce jour rédigé 36 articles et cours sur ce sujet. Mon programme de recherche depuis lors a été la mise-au-point de différents outils d'analyse et de calcul basés sur la représentation en ondelettes, soit continue, soit orthogonale. Afin de valider ceux-ci, je les ai tout d'abord appliqués pour étudier la turbulence bidimensionnelle. Maintenant que j'ai montré les avantages de la représentation en ondelettes dans le contexte bidimensionnel, je reprends l'étude des écoulements barotropes, ce qui était mon sujet de recherche il y a 15 ans, car ces écoulements sont plus réalistes dans le contexte géophysique auquel s'intéresse le Laboratoire de Météorologie Dynamique auquel je suis rattachée. Je commence également à appliquer les méthodes à base d'ondelettes pour étudier les écoulements tridimensionnels, en envisageant à long terme des applications industrielles, étant donné que c'est une des missions du secteur SPI auquel j'appartiens depuis mon entrée au CNRS en 1981.

J'ai developpé ce programme de recherche en collaboration avec:
- Kai Schneider, dont j'ai co-dirigé la thèse à l'Université de Kaiserslautern de 1994 à 1996 et qui est maintenant assistant à l'Université de Karlsruhe (Allemagne),
- Nicholas Kevlahan, qui a effectué son post-doc avec moi de 1994 à 1998 et qui est maintenant professeur à l'Université de McMaster (Canada),
- Thierry Philipovitch et Eric Goirand, qui ont fait leur thèse à l'Université de Paris VI sous ma direction, et sont partis depuis travailler dans l'industrie.

Pour aborder l'étude des écoulements barotropes et des écoulements tridimensionnels en régime turbulent pleinement développé, à l'aide des méthodes d'ondelettes, il est important de procéder dans le même ordre que je l'ai fait pour les écoulements bidimensionnels. En effet, chaque étape est essentielle pour décider de la suite du programme, et ceci dans l'ordre suivant: tout d'abord l'analyse, puis la compression et l'extraction des tourbillons cohérents, ensuite la résolution des équations de Navier-Stokes par simulation numérique directe (DNS) en base d'ondelettes adaptative, et finalement la mise-au-point de modèles de turbulence. En collaboration avec Kai Schneider, je suis en train de développer une méthode, appelée CVS (Coherent Vortex Simulation), qui s'inspire de la méthode LES (Large Eddy Simulation), pour laquelle la séparation s'effectue, non plus entre mouvements à grande échelle et mouvements à petite échelle (dits sous-maille), mais entre tourbillons cohérents hors d'équilibre statistique et écoulement résiduel ayant atteint un état proche de l'équilibre.

Programme de recherche

1. Analyse en ondelettes des écoulements turbulents

J'ai développé ce programme recherche de façon systématique en abordant d'abord l'analyse, ceci à l'aide de la transformée en ondelettes continue à valeur complexe. J'ai montré que les plus petites échelles où la turbulence est encore active se concentrent, soit au centre des tourbillons quand ceux-ci sont isolés, soit à leur périphérie quand ceux-ci interagissent fortement entre eux. J'ai ainsi pu vérifier que la taille du support spatial des régions actives décroît avec l'échelle, ce qui correspond à l'intermittence spatiale des écoulements turbulents. J'ai alors proposé plusieurs diagnostics à base d'ondelettes pour mesurer l'intermittence: le facteur d'intermittence, le nombre de Reynolds local et la variance spatiale du spectre d'enstrophie local. J'ai ensuite utilisé ceux-ci pour analyser plusieurs écoulements turbulents tridimensionnels, tels la couche de mélange et l'écoulement dans un canal, ceci en collaboration avec Charles Méneveau, qui effectuait alors son post-doc à NASA-Ames et qui est maintenant professeur à l'Université Johns Hopkins (USA).

En collaboration avec Kai Schneider et Nicholas Kevlahan, j'ai poursuivi ce travail sur l'intermittence. Nous avons mis-au-point de nouveaux diagnostics, basés cette fois-ci sur la représentation en ondelettes orthogonales, que nous avons appliqués à l'analyse des écoulements bidimensionnels non forcés. Nous avons calculé les moments statistiques en fonction de l'échelle et étudié plusieurs rapports de moments, en particulier le facteur d'assymétrie (rapport entre le moment d'ordre 3 et celui d'ordre 2) et le facteur d'aplatissement (rapport entre le moment d'ordre 4 et le moment d'ordre 2), ceci échelle par échelle. Nous avons montré que, si un écoulement est intermittent, les moments et les rapports de moments doivent augmenter quand l'échelle diminue, tandis-que dans le cas contraire ces quantités gardent la même valeur à toutes les échelles.

Nous avons également étudié la distribution en échelle de plusieurs quantités d'intérêt dynamique (la vorticité, le terme d'advection non linéaire et le terme de dissipation linéaire) et montré que ces trois champs présentent la même localisation en espace et en échelle des coefficients d'ondelettes les plus forts. Ceci nous a permis de proposer de calculer les équations de Navier-Stokes bidimensionnelles en base d'ondelettes, en ne retenant que les ondelettes qui correspondent aux valeur maximales des coefficients d'ondelettes de la vorticité, ainsi que les ondelettes immédiatement voisines en espace et en échelle.

2. Modélisation en ondelettes des écoulements turbulents

Lors d'un séjour au Département de Mathématiques et Statistiques de l'Université de Brisbane (Australie) que j'ai effectué pendant l'été 1997, j'ai trouvé un critère objectif de sélection des coefficients d'ondelettes les plus forts, qui correspondent aux tourbillons cohérents. Ce critère permet ainsi d'extraire les tourbillons cohérents du reste de l'écoulement; il ne dépend que de l'enstrophie totale et de la résolution du champ non comprimé et n'a donc aucun paramètre ajustable. Pour le définir je me suis inspirée des travaux de David Donoho, du Département de Statistiques de l'Université de Stanford, sur le débruitage des signaux en présence d'un bruit blanc Gaussien. La raison de ce choix tient au fait que pour calculer un écoulement turbulent on doit chercher à filtrer les contributions les plus Gaussiennes possibles. En effet, il est beaucoup plus simple de modéliser statistiquement un processus Gaussien, car il suffit alors de mesurer la moyenne et la variance pour connaître tous les autres moments statistiques. Si on peut garantir que les modes filtrés sont bien quasi-Gaussiens, on pourra alors modéliser leur effet sur les modes résolus à partir de leurs seules moyenne et variance, ce qui est le principe des modèles de turbulence que nous sommes en train de mettre au point.

 

En collaboration avec Kai Schneider, j'ai appliqué cette méthode pour extraire les tourbillons cohérents dans les écoulements turbulents, bidimensionnels et tridimensionnels. Par exemple, nous avons montré que pour un écoulement bidimensionnel calculé en 2562 seulement 0.7% des modes d'ondelettes suffisent à représenter tous les tourbillons cohérents, tandis-que les 99.3% des modes restant correspondent à un champ de vorticité homogène. Le champ de vorticité cohérente ainsi reconstruit a une distribution de probabilité non-Gaussienne, tandis que le champ de vorticité incohérente a une distribution de probabilité Gaussienne, ce qui garantit que l'on peut définir un état d'équilibre statistique permettant de modéliser l'écoulement résiduel. Nous avons également utilisé la même méthode pour extraire les tubes de vorticité dans un écoulement tridimensionnel calculé par Maurice Meneguzzi (ASCI, Orsay) à la résolution 5123. Nous avons ainsi trouvé que 3% des modes d'ondelettes suffisent pour retenir 84% de l'enstrophie et permettent de reconstruire un champ de vorticité ne contenant que les tubes de vorticité, tandis-que les 97% des modes restant permettent de reconstruire un champ de vorticité incohérente homogène où il n'y a plus de tubes de vorticité. Ce travail est en cours et doit être complété par de nouveaux tests statistiques adaptés au cas tridimensionnel. Nous sommes en train de les mettre au point afin de caractériser le champ de vorticité incohérente et voir comment celui-ci pourra être modélisé statistiquement..

Nous avons proposé un modèle de turbulence pour les écoulements bidimensionnels basé sur la résolution déterministe de la dynamique des tourbillons cohérents en base d'ondelettes orthogonales et la modélisation statistique de l'écoulement résiduel Gaussien. Ceci nous a permis de développer une nouvelle méthode de simulation numérique des écoulements turbulents, appelée CVS (Coherent Vortex Simulation), qui est basée sur une intégration déterministe en base d'ondelettes adaptative des modes cohérents et une modélisation statistique de l'effet des modes incohérents sur les modes cohérents.

3. Calcul en ondelettes des écoulements turbulents

Depuis 1990 Kai Schneider a développé, en collaboration avec Jochen Fröhlich (à l'époque à l'Université de Kaiserslautern et maintenant à l'Université de Karlsruhe), une méthode de calcul des EDPs en base d'ondelettes adaptatives. L'approximation des champs continus en base d'ondelettes correspond à une représentation hiérarchique en échelle, bien adaptée pour suivre la dynamique des écoulements turbulents, et permet un calcul récursif à l'ide d'algorithmes rapides, dont le nombre d'opérations est proportionnel à la taille du problème, en particulier plus rapides que la FFT. De plus les propiétés de localisation de la représentation en ondelettes permettent de comprimer les champs de façon optimale en ne retenant que les coefficients d'ondelettes les plus forts, ce qui, quand on revient dans l'espace physique, correspond aux valeurs sur un maillage raffiné localement aux endroits de forts gradients.

Kai Schneider et moi-même avons utilisé cette méthode pour calculer l'évolution temporelle d'une couche de mélange bidimensionnelle se développant en temps. Cette configuration est typique pour les écoulements turbulents et sa dynamique fortement non linéaire en fait un bon exemple pour tester les méthodes numériques. A chaque pas de temps on ne calcule que les coefficients d'ondelettes supérieurs à un certain seuil, ce qui, quand on revient dans l'espace physique, correspond à une grille inhomogène localement raffinée dans les régions de forts gradients. Nous avons comparé les résultats obtenus en calculant le même écoulement avec une méthode pseudo-spectrale classique, effectuée en base de Fourier. Nous avons vérifié que la formation des tourbillons par l'instabilité de Kelvin-Helmholtz est bien décrite par les deux méthodes, que le nombre de tourbillons formés est bien celui prédit par la théorie et que les spectres obtenus sont les mêmes. Nous avons montré que, dès la formation des tourbillons cohérents, le nombre d'ondelettes adaptatives nécessaire pour calculer l'écoulement est dix fois plus petit que le nombre de modes de Fourier, ceci en résolution 2562. De plus ce nombre reste quasi-constant tout au long de l'évolution, ce que nous avions déjà observé dans le cas d'une intéraction entre trois tourbillons donnant lieu à un appariement. Ceci provient du fait que la représentation en ondelettes a l'avantage de préserver l'information de phase, même à fort taux de compression, alors que cette information est rapidement perdue si l'on comprime en modes de Fourier.

Toujours en collaboration avec Kai Schneider j'ai mis au point une méthode de forçage des écoulements en base d'ondeletes, où seuls les tourbillons cohérents sont excités à chaque pas de temps. Nous avons ainsi obtenu des états de régime statistiquement stationnaires, homogènes, isotropes et non-Gaussiens. Nous avons ensuite calculé en base d'ondelettes adaptatives un écoulement bidimensionnel où le forçage est également effectué en ondelettes. Ceci permet d'injecter l'enstrophie de façon spatialement intermittente, en n'excitant que les tourbillons cohérents, et non de façon homogène comme c'est le cas pour le forçage classique en modes de Fourier. Avec le forçage en ondelettes nous avons obtenu des états de régime pour lesquels l'énergie et l'enstrophie sont parfaitement conservées, et ne présentent pas les oscillations parasites produites par le forçage en modes de Fourier. Nous avons également étudié le mélange d'un traceur passif dans un écoulement turbulent bidimensionnel forcé en base d'ondelettes, travail que nous allons poursuivre ce travail en collaboration avec Igor Mezic et Jean-Christophe Nave de l'Université de Californie à Santa-Barbara (USA).